Vous pensez que les luxes économiques ou politiques des pays riches se paient toujours sur le dos du tiers-monde?
Pour le moment je ne vois que ça.
Et quelle société vous satisfait, enfin... vous écoeure le moins?
Là, je ne peux pas vous répondre politiquement mais presque religieusement. Le mal comme le bien font partie de la nature humaine et s'expriment à travers les hommes ou les sociétés. Je ne condamne pas, je ne sais pas ce qui va sortir des anciens empires coloniaux. Je ne sais pas ce qu'ils auront apporté de bien, je sais ce qu'ils ont apporté de mal. Peut-être ont-ils apporté du bien aussi, mais tout cela est si inextricablement mêlé que je ne serai jamais satisfait par un système politique, quel qu'il soit.
[...]
Vous avez dit que Rimbaud avait "choisi" le silence. Vous aussi?
Je ne sais pas pourquoi Rimbaud a choisi le silence. J'ai dit qu'il avait compris qu'il devait se taire. Moi, il me semble que, puisque tous nos livres ont été écrits en prison, je les ai écrits pour sortir de prison. Sorti de prison, l'écriture n'avait plus de raison d'être. Mes livres m'ont fait sortir de taule, mais après, quoi dire ?
[...]
Vous avez beaucoup parlé d'une hiérarchie de la gloire qui serait la hiérarchie du crime... Quel est le plus exotique des crimes?
Non. Je voulais dire que deux mots accolés, ou trois ou quatre, et deux phrases peuvent être plus poétiques qu'un meurtre. Si j'avais a choisir entre l'expression poétique par des mots ou, si elle existe, l'expression poétique par des actes, je choisirais l'expression poétique par des mots
Quels sont les mots qui vous paraissent les plus forts et les plus proches d'un acte?
C'est leur assemblage, leur confrontation. Il en faut au moins deux.
Est-ce qu'il y a un bonheur d'écrire. Avez-vous éprouvé profondément une jubilation en écrivant?
Une seule fois.
En écrivant quoi?
Les Paravents. Le reste m'a beaucoup ennuyé, mais il fallait l'écrire pour sortir de prison.
En quelle année Les Paravents?
Attendez, je crois en 1956 ou 1957. En tout cas, je corrigeais les épreuves quand de Gaulle est venu au pouvoir en 1958, je crois, c'est ça.
[...]
Les combats sont souvent idéologiques et symboliques, donc l'artiste ou l'écrivain y a sa place. Vous ne vous êtes pas senti combattant par la plume?
Vous parlez comme Simone de Beauvoir.
On ne combat pas avec la plume?
Non. J'ai, bien sûr, assisté à des manifestations avec Sartre, avec Foucault, mais c'était très anodin, avec une police très respectueuse finalement, qui établissait plutôt une complicité avec nous, qui nous faisait complices d'elle. Un police surréelle.
Alors, en écrivant, on sort de prison mais on ne change pas le monde ?
En tout cas pas moi. Non.
Et est-ce qu'on change les autres individuellement? Est-ce qu'un lecteur est changé? Est-ce qu'il y a des livres qui vous ont changé?
Finalement, non. Je crois, sans apporter de preuves, mais je crois qu'à l'éducation qui vient des livres, des tableaux ou d'autre chose, de l'éducation qu'on reçoit, s'oppose un facteur personnel que je ne peux pas nommer autrement. Je suis incapable d'en discerner les bornes, mais chaque homme fait sa pâture de tout. Il n'est pas transformé par la lecture d'un livre, la vue d'un tableau ou par une musique; il se transforme au fur et à mesure et, de tout ça, il fait quelque chose qui lui convient.
[...]
La beauté, vous en parlez parfois pour une personne, un visage. Plus généralement c'est quoi?
La beauté d'un visage ou d'un corps n'a rien à voir avec la beauté d'un vers de Racine évidemment. Si un corps et un visage rayonnent pour moi, ils ne rayonnent peut-être pas pour d'autres.
Donc, à chacun sa beauté, pour Racine comme pour un visage. Vous n'avez pas de définition de la beauté?
Non mais vous, est-ce que vous en avez une? Ca, ça m'intéresse.
Non, c'est la beauté de Genet qui est intéressante. Si on vous dit que vous avez énormément d'innocence sur le visage, ça vous vexe?
Non.
Ca vous flatte?
Assez, oui. Parce que nous savons maintenant que les innocents sont pervers.
Interview de Jean Genet par Bertrand Poirot-Delpech, 1982. (interview intégrale)
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